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La mort d’Elliott Erwitt, photographe de la comédie humaine… et canine

Reporter à l’œil incroyablement acéré, doyen de l’agence Magnum, Elliott Erwitt a réussi l’exploit de construire une œuvre majeure et à la fois pleine d’humour et d’absurde. « Etre amusant est plus sérieux que d’être sérieux, confiait-il en 2010, lors de son exposition à la Maison européenne de la photographie, à Paris. Ou plutôt, être amusant, ce n’est pas manquer de sérieux. Je ne rigole pas avec l’humour ! »
Le facétieux photographe américain, qui renâclait à analyser son œuvre, servait volontiers des mots d’esprit ou des réponses minimalistes aux journalistes venus l’interroger. Ses hilarantes photos de chiens ou ses clichés très graphiques, déclinés dans des livres à succès, ont eu tendance à masquer ses photographies politiques marquantes, ainsi que le reste de son travail dans la mode, la publicité, l’architecture, le portrait, ou ses nombreux films. Le photographe est mort à 95 ans, mercredi 29 novembre, dans sa maison de Manhattan, après une carrière qui a duré près de soixante-dix ans.
Peut-être y avait-il, dans le refus d’Elliott Erwitt de se prendre au sérieux, une volonté de faire un pied de nez à une vie qu’il savait sombre et imprévisible. Ce globe-trotteur infatigable a commencé la sienne à Paris le 26 juillet 1928, né Elio Ervitz dans une famille russe juive qui avait fui la révolution russe en 1917. Durant les terribles années 1930, la famille voyage d’un pays à l’autre : d’abord en Italie, où elle voit avec effroi l’arrivée au pouvoir de Mussolini, puis de nouveau en France, et s’échappe de justesse aux Etats-Unis en 1939, quelques jours avant le début de la guerre.
Les parents d’Elliott Erwitt sont séparés, et son père prend le large : à l’âge de 16 ans, le jeune homme se retrouve tout seul à Los Angeles. Il travaille dans un laboratoire, puis commence à prendre des photos, des voisins, du bal de l’école… Mais c’est à New York, après des études de cinéma à la New School for Social Research, que commence vraiment sa carrière de photographe, interrompue lorsqu’il est envoyé à l’armée. Dès cette époque, il prend des photos à la fois drôles et amères, comme celle d’un soldat noir américain qui tire joyeusement la langue au photographe : « On s’entraînait dans le New Jersey. La moitié des gars ont été envoyés en Corée, et beaucoup sont morts. L’autre moitié, dont moi, est allée en Europe, et ils s’y sont amusés comme des fous. J’ai eu beaucoup de chance dans la vie ! »
A son retour, sa carrière décolle, et il va parcourir le monde pour répondre aux commandes de magazines comme Look, Life ou Holiday. Le reporter Robert Capa, qu’il a rencontré quelques années plus tôt, lui propose de rejoindre l’agence Magnum en 1953, à 25 ans. Edward Steichen, le directeur de la photo au MoMA, inclut une de ses images dans son exposition à succès, The Family of Man : une photo tendre, où une mère couve du regard son enfant sous l’œil du chat – il s’agit de la femme du photographe et de sa fille.
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